Focus – Clips et animation – Partie 2 – Voix et lyrics

Parler d’animations et de dessins animés quand on est adulte, c’est avant tout affranchir cet art de son caractère uniquement enfantin. En plus du plaisir esthétique, c’est clairement l’objectif de sensibilités mélodiques.

C’est un art qui a depuis longtemps atteint sa maturité. Le fait que des artistes puissent mettre des dessins, du graphisme sur des mots, des paroles et de la musique ne fait que le confirmer.
Il est donc temps de se plonger dans la deuxième partie de ce dossier, les clips d’animation faisant la part belle à la performance vocale.

Hip Hop Alternatif


Qu’entendre par alternatif ? Et bien tout ce qui sort de l’ordinaire codifié du Rap : l’instrumental, le texte ou son thème, les flows et performances vocales, la direction artistique générale etc.
Forcément, un style plus expérimental, plus ouvert artistiquement permet de moins hésiter à stimuler la créativité visuelle des clips. L’animation trouve donc un terrain d’expression riche et varié avec ce genre, plus ou moins expérimental pour l’ouïe ou la vue.

  • El P & Killer Mike

Voilà deux compères qui se sont bien trouvés ! La patte musicale d‘El-P complète à merveille la virilité lyricale de Killer Mike. Ils ont fait sensation et jouissent d’une certaine hype avec Run The Jewels, mais ils ont débuté leurs collaboration avant de ne plus se quitter depuis le R.A.P. Music de Killer Mike. L’occasion pour eux de produire deux clips animés de haut vol.

Le premier, Reagan, tiré de R.A.P. Music donc, est une petite bombe.
La mise en pixel de la politique ultra sécuritaire et manipulatrice de Ronald Reagan rebondit littéralement sur le texte critique de Killer Mike. L’ambiance « surveillance généralisée », conspiration et corruption généralisée est parfaitement intégré. La tension grimpe musicalement, la production d’El-P est magistrale, le choc progresse lui aussi visuellement.
Tout s’imbrique à merveille dans ce pamphlet politique hyper stylisé. Jamais caricatural, impossible de ne pas secouer la tête et de ne pas esquisser un sourire jaune avec Reagan… Sacrée baffe !

Le second est tiré de Run the Jewels (2), combo des deux compères « officialisé ». Early reste dans la lignée artistique de leurs précédentes collaborations.
Sombre, le morceau nous plonge dans l’injustice et la violence pour un protagoniste, la résistance, la paranoïa, la surveillance pour l’autre.
Sombre, le clip l’est aussi, illustrant à merveille dans ces teintes noires et rouges ces deux histoires carcérales, en appuyant les paroles avec des lettres de sang. Encore une réussite.

  • Def Jux

Belle époque que celle de Def Jux. L’âge d’or du Rap Indé. Mon âge d’or du Hip Hop. Et deux clips animés pour deux éminents représentants label.

Honneur au patron. Encore El-P…en solo cette fois. Toujours plein de stress, de tension, de parano ou de sentiment de persécution…
Les racines du mal qui bouffe le rouquin sont déjà là. Entre basses saturées, rythmiques mécanique sale, sons robotiques, le tableau de The Stepfather Factory ne manquait plus que de quelques froides couleurs.

Toujours cette vision amère de l’échec de l’utopie (que ne renierait pas Phillip K. Dick).
Avec l’industrie de la famille, vous aussi adoptez votre beau père cybernétique, programmé dans nos usines avec soins jusqu’aux moindres détails les plus sordides. Non il n’oubliera pas d’être aigri, non il n’oubliera de devenir alcoolique, et encore non, il n’oubliera pas la violence domestique. C’est un peu vieux, mais toujours aussi prenant et taré !

L’autre tête d’affiche de Def Jux, c’est quand même Aesop Rock. Beaucoup de classiques et d’excellents titres pour le barbu. Ici, on fait dans l’anthropomorphisme surréaliste, une espèce de balade dans un zoo étrange et glauque. Le troupeau hypocrite qui se verra opposé un « on ne passe pas » en lien avec leurs actes. None Shall Pass, c’est beau, sympa, complexe… c’est aussi « la voie » métaphorique choisie par Aesop.

  • North East : animer les mots

ECID, c’est la classe froide du Minnesota. Il choisit l’unique représentation graphique pour visualiser les punchlines de Sign Me Up. Tiré de son dernier album Pheromone Heavy, ce son est bizarre, mais couplé à cette animation dynamique mutante, on est vite hypnotisé…

Processus ordinaire que celui de mettre la reproduction scripturale au centre du clip. Mais en y ajoutant une animation complémentaire dynamique et une direction artistique enlevée, il est possible de faire du beau avec du simple.
Pour Through The Sidewalk de Qwel & Maker, Ben Marlowe a effectué un travail superbe avec un matériau de départ ultra simple : les paroles et Qwel devant la caméra. Vue la verve du Mc de Chicago, c’est en effet une bonne idée de jouer sur ses lyrics.

  • Anticon et ses « ex »

Label mythique de l’underground, Anticon s’est construit sur son indépendance et son approche ouverte et avant gardiste, tout particulièrement du Hip Hop. La créativité et la liberté artistique sont au cœur de l’identité du label, les prises de risques nombreuses sur tous les aspects d’une production musicale aussi.
Du coup, pas étonnant de voir les artistes de ce label, ou passés sous son giron, produire des clips inspirés et différents. L’animation va parfaitement aux artistes d’Anticon, et se prête ainsi à merveille à l’illustration étrange et l’expérimentation visuelle.

Pour commencer, quelque chose de plutôt récent de la part d’un gars qui ne vient de sortir du bois… Oh non ! Sage Francis n’est plus chez Anticon depuis longtemps, son premier album est en effet loin, mais sa rage, sa folie mais aussi sa sensibilité, elles, restent.
Pour son dernier album, Copper Gone, sorti sur son label Strange Famous Records, il nous gratifie de deux clips animés très réussies et très différents.

I.D. Thieves, un Hip Hop bien bad ass et rageux, classe et entraînant. Musicalement, ça cesse des mâchoires, et visuellement, ce slasher puissant à la sauce Ghost in the Shell (réalisé par Aupheus) est diablement bien réalisé, fluide et prenant.

L’autre morceau, Make Em Purr, produit par Buck 65, est beaucoup plus posé, plus triste aussi. Autre registre que celui de la solitude et de la compagnie, mais l’animation de Wasaru parvient à sublimer la simple tonalité de l’émotion avec son esthétique et sa narration.

Place à l’un des fondateurs d’Anticon, un de mes rappeurs préférés, Sole. Lui aussi est un ancien, toujours hyper productif et engagé, voilà deux clips avec le Skyrider Band.

Battlefields met en scène Sole sous les traits… d’une marionnette ! Celle-ci semble s’adresser directement à nous, vivante, comme si Pinocchio avait pu lire quelques essais anarchistes avant de quitter Gepetto…

Pour l’album suivant de cette collaboration entre Sole et le Skyrider Band, changement de cap total. Place à un Rap beaucoup plus electronisé. La preuve avec Immortality, et son premier couplet qui a de quoi désarçonner.
Sole qui chantonne, vocoders, shirleys à 400 à l’heure… Mais ça fonctionne ! Surtout quand Sole se remet à rapper avec sa verve habituelle au deuxième couplet.
Enfin, pour finir de faire de cette track une réussite, le clip en dessins animés noir et blanc possède une patte particulièrement scotchante. Son esthétique se marrie à merveille avec le contexte cybernétique et transhumaniste… finissant par s’écrouler face à la nature qui reprend ses droits.

Pour finir avec Anticon, autant plonger à corps perdu dans l’expérimentation et la création marginale avec Subtle. Mais quelle inspiration, quel univers, quelle qualité musicale !
Planante, onirique, torturée, la trilogie Wishingbone nous emmène loin, aussi bien auditivement que visuellement, et c’est avec un surprenant plaisir que l’on en vient à se perdre dans cette forêt de sons et d’influences, sans ne jamais une quelconque anxiété…

De ces 3 morceaux je retiendrai surtout la douceur contrastée de F.K.O. et les envolées « florales » de Swan Meat. Un bel exemple d’un travail complet et cohérent artistiquement.

Trip Hop, Rock Alternatif & Metal


Voilà la partie un peu « fourre tout » de ce dossier. Un large passage en revue de plein de styles, plutôt différents les uns des autres.

On continue notre voyage sur l’astre Anticon, avec WHY? dans une plongée tourbillonnante et colorée illustrant diablement bien les paroles et la composition riche de Song of the Sad Assassin.
Illustre ancien d’Anticon, Buck 65 vient apparaître dans la douce chanson de Laura J Martin, Kissbye Goodnight. Pleine de poésie, le clip en délivre lui aussi avec son jeu de marionnettes de papiers aux effets dessinés très réussis.

Figures éminentes du Trip Hop ou de la pop alternative, Björk ou le groupe Portishead ont aussi lorgné vers l’animation. Mais dans deux styles très différents. Dessin animé d’une chute pour le groupe de Bristol, costumes, collages et décors carton pâte pour l’islandaise et ses cuivres guerriers !

Du rock plus classique ensuite. Home and Dry n’a pas joué la chanson qui m’a le plus marqué avec Ghost are Dancing, mais le clip m’a par contre totalement charmé. Capture du visage en 3D puis une sorte de retraitement vectoriel et coloré offre un cachet très particulier. On est vite absorbé par les courbes, les formes et les couleurs qui s’entremêlent, se déchirent, fusionnent…

Deux invitations au voyage ensuite. Des voyages intérieurs, psychédéliques, faits de morphings et de jeux de couleurs saisissants avec Thee Oh Sees et Timber Timbre. Mention spéciale à ces derniers pour Beat the Drum Slowly, magnifique animation lyricale, aigre, avec une tendance film d’horreur esthétiquement très réussie.

Versons dans du Rock plus extrême, avec le punky-trash Pirates de Penfold Gate, relecture de Fight Club version piraterie. Oui, la société de la frustration peut tout à fait mener à se tourner vers le drapeau noir et la tête de mort… au moins en fantasme !

Place au Metal.
Ultra sombre, Iridium de Dark Tranquility conte une fable noire avec ce qu’il faut d’ésotérisme et d’étrange pour coller à la musique.
Le style graphique correspond bien à l’ambiance inquiétante de la track, donnant encore plus d’épaisseur à cette création.

Le plus « syncopé » We Legion de Grorr se tourne vers un autre style, plus brutal musicalement, plus crade visuellement. Le groupe de Pau parvient à se forger une identité forte, que ce clip transmet sans mal.
Le soulèvement des fourmis démarre ! C’est plutôt frais, ça change des clips standardisés Horreur – Guitare, et en plus, le son est très bon (la cornemuse (?) donne une ambiance vraiment particulière). Une découverte qui fait plaisir.

Pour finir, je vous conseil d’aller jeter un œil à l’ensemble des clips animés du groupe Deathklok. C’est généralement complètement con, trash, violent ou vulgaire, mais toujours drôle.

Rap US


Encore du Hip Hop… Il faut croire que les mentalités ont suffisamment évoluées pour ne considérer ni l’animation, ni le Rap comme des enfantillages pour ados attardés. Loin de là.

L’animation, pour ma génération, c’était surtout ce qui venait du Japon. Alors comment faire cohabiter Rap et Asie, voire arts martiaux ?
Se tourner vers le temple de Shaolin et ses 36 chambres… comme ont pu le faire le Wu-Tang Clan.

Embarquons donc avec les maîtres pour une leçon en deux actes, le premier, une antique technique, Do Rae Wu, à l’animation datée, mais au charme stylistique indémodable, au service d’une track magistrale.

Le deuxième, beaucoup plus moderne, pourtant ancré dans la tradition du style martial Wu-Tang, House of Flying Daggers transporte au coeur des techniques des membres du clan avec beaucoup de classe. Des techniques mortels qui atteignent toujours leur objectif : nous arracher un sourire !

Point de Rap US sans un peu de référence à la culture américaine.
Commençons avec un hommage au récemment disparu Sean Price. Il campe un exécuteur dans ce court d’animation, MIC à la main, cassant les crânes et les bouches avec autant de facilité qu’il saignait les instru. RIP Sean P.

MF Doom est un hommage constant aux Comics, aux Villains, aux génies du mal ou autres grands méchants de ces BD.
All Caps en est l’exemple type, une track mythique déroulant son histoire animée au fil de ses planches et de ses bulles.

Du coup, ça fait aussi plaisir de voir MF lorgner sur d’autres influences. Et avec cowboys et indiens, le Western offre des rôles à la mesure des lyricistes, avec un style musical et visuel qui correspondent bien. MF en feat avec Mighty Underdogs, ça donne un clip cool où les pruneaux fusent autant que les rimes.

Un autre sous genre « culturel » bien américain plutôt bien exploité dans le Rap, c’est l’horreur. Le Crypt Show a certainement du en marquer quelques uns, sans parler des films gore, des zombies…

En parlant du Crypt Show, le clip Loose Your Life d’Alchemist m’y a directement fait penser. Et puis voir des All Stars du Rap US transformés en zombies, monstres de Frankenstein ou cadavres désarticulés c’est quand même marrant.

Moins surprenant, Necro et Ill Bill qui donnent dans le genre. L’horrorcore c’est eux quoi !
C’est toujours crade et bien saignant, mais il fallait choisir. Alors voilà Gore! de Necro en feat avec Mr Hyde, pour saigner avec style, et My Uncle d’Ill Bill, plus perché, flippant que dégueu. En même temps, pour parler de son oncle accroc aux drogues dures, substances pour lesquels il y a laissé jusqu’à sa vie, le ton semble assez adapté.

Rap français


Finissons ce dossier dans la langue de Molière.

Début de la fin loin des clichés, tant visuels que musicaux, avec une métaphore cynique de l’espérance, tourment quelque peu sous estimé, mais si bien représenté par le texte de Rocé.
Qui plus est, la réalisation graphique d’Antoine Roegiers est sublime de poésie et de créativité, en conservant tout de même un caractère dépouillé en utilisant du dessin traditionnel. Superbe !

Continuons en conservant un certain décalage. Odezenne laisse rarement de marbre. Adorés ou détestés par l’auditeur, je me sens plus partagé. Pour ma part, point de pied d’estale, je me contente d’écouter des rappeurs en restant attentif. Et parfois, oui, le résultat est clairement emballant.

Bon exemple que Dedans, traitant de conditionnement socio-économique et culturel, de libre arbitre illusoire. La chanson me laisse pas indifférent, mais ne me marque pas au fer rouge. Le clip, déjà plus. Bondissant, dynamique, l’illustration graphique du texte est excellente, franchement plaisante à suivre.

Autre très bon exemple que Bouche à Lèvres. Un autre thème « sur éprouvé » par le rap, l’acte sexuel. Mais cette fois, le traitement du sujet est d’une finesse rare. Emprunt d’une certaine poésie, cette ode au cunni résonne, interroge… Ça change des textes de Necro sur le propos.

Mais que dire du clip. Là on touche au sublime. Non seulement tout concorde, mais c’est aussi techniquement au poil, esthétiquement magnifique et parfaitement coloré. Un véritable voyage intérieur suffisamment psychédélique pour ne pas être barbant.

Attention, certains le trouveront choquant, d’autres marrant, certains verront de la vulgarité, d’autres de l’audace, mais cette fois, tout le monde sera aussi secoué que l’animation.
Le travail de Vladimir Mavounia-Kouka est définitivement à souligner, à encourager même. Trop rare sont les clips poussants leur concept aussi loin, surtout dans le Rap français. À voir absolument !

 

Pour finir, du Rap beaucoup plus classique, mais forcément avec des clips qui ne le sont pas forcément.
Pêle-mêle, voici une animation en rotoscopie bluffante de la part du studio Les marqueurs pour le S-Crew, puis l’odyssée de Scylla pour son titre Abysses mise en image par Ebola.

  

On continue avec D’Oz Kroniker. L’instru de sa track Les Tours de la Tourmente est d’une efficacité extrême, musicale et dynamique, belle et mélancolique, un vrai plaisir à écouter et au final une belle découverte.

Encore plus belle quand j’ai maté ce clip en stop motion, mise en scène de la culture Hip Hop dans une maison de poupée, impossible de ne pas sourire devant ce style créatif. Mention au superbe moment graffiti, les doigts des animateurs de Winston Mac Cool ont du sérieusement s’afférer !

Conclusion définitive avec du dessin, une vraie surprise concoctée par Sam’s et surtout Morgil au crayonné, pour le très beau titre Itachi Uchiwa. Un mangaka illustrant la totalité d’une chanson qui fait référence au perso le plus classe du manga Naruto, je prends ! Et quand c’est fait avec autant de passion et de précisions, je relaie.

Ce dossier maintenant terminé, vous aurez sûrement compris que j’affectionne le parti pris de l’animation dans un clip. L’audace, l’ambition, la créativité, l’hommage, le rire… La palette d’émotions activables est large, presque infinie.

Ce média est riche, son évolution constante, mon attention pour ce qui en sera fait… forcément forte. Même si le principal intérêt de la musique reste son essence même, la créativité visuelle mise à son service reste une cerise magnifique… toujours plus appréciée quand le gâteau est à la hauteur.

Anthracite

PS : N’oubliez la Première partie du dossier.

Ecrire un commentaire...

Name

Email