Cubbiebear // Still Can’t Fly

Sortir des carcans, dépasser les conventions, exploser les cadres conceptuels… Musicalement, une telle stratégie, c’est quitte ou double. Soit on réussit son coup et on surprend, ou mieux, on établit un nouveau standard, soit on se plante et on reste marginal, incompris ou pire, faussement artiste.

Mais sensibilités mélodiques apprécie ces prises de risques. Même pour du Hip Hop, on oublie les à-priori, on ne joue pas au vieux con sénateur du Rap, au contraire, on soutien les initiatives créatives. Comme pour Still Can’t Fly, un véritable exemple de mixité  d’influences artistiques réussi.


INFOS


Pour une fois, je commencerai par une anecdote perso, sur la découverte de Still Can’t Fly EP. Remontons au temps de l’un des fondateurs des réseaux sociaux, My Space. Souvenirs émus que ces premiers partages musicaux avec des artistes que l’on peut presque toucher du bout des doigts… par claviers interposés tout de même.

Et bien Cubbiebear, c’est comme ça que je l’ai connu. J’ai reçu un message de sa part avec son EP en téléchargement, ça ressemblait beaucoup à du spam de promotion, mais l’artwork m’avait séduit et c’était gratos, donc j’ai pris ! Et finalement j’ai bien fait et je remercie ce rappeur/producteur indépendant de Baltimore de m’avoir appâté.

Cubbiebear - sensibilités mélodiques


DIRECTION ARTISTIQUE


Cubbiebear est totalement Hip Hop dans son phrasé, son flow, ses thèmes, son orientation « Battle ». Il n’hésite pas à chantonner dans un murmure ou littéralement gueuler pour coller aux ambiances des instrus.

D’ailleurs, le plus intéressant reste les productions, car Still Can’t Fly c’est un grand melting pot d’influences. Les rythmiques sont violentes, riches et travaillées, entre Abstract Hip Hop, Electronica  et Rock alternatif. Ce côté Rock transpire des mélodies puissantes, avec des guitares teintées de Rock progressif. Pour finir, le travail sur les effets de voix, les bugs et autres glitches donnent une saveur toute particulière à Still Can’t Fly. C’est chirurgical et bien dosé.


AUTOPSIE AFFECTIVE


Still Can’t Fly dégage un contraste étrange. Une impression de produit fini, léché, jusque dans les moindres détails, surtout avec le côté électronique des productions. Mais aussi un côté sauvage, non dompté, de par la performance saisissante de Cubbiebear ou le style totalement libéré et fou des guitares.
De cette sauvagerie se dégage deux sentiments forts : l’introspection et la colère.

Introspection brutale


Avec Cubbiebear, place aux sentiments, aux émotions, à l’amour, à la rupture, à la prise de conscience. Une belle palette de sujets, toujours exprimés violemment, brutalement. Même quand la production et le propos se déroulent progressivement, la brutalité finit par se manifester à un moment.

On retrouve cette progressivité dans Damned et Ink. Ces morceaux sont de véritables montées en puissance. On commence doucement pour grimper crescendo en intensité, que ce soit avec un rythme décuplé ou une mélodie qui s’emballe. C’est ce qui donne toute leur singularité à ces morceaux, où les sentiments dominent la réflexion, jusqu’à virer à l’obsession.

Ink correspond bien à ce contraste et cette progressivité. Elle commence calmement avant de s’emballer, avec sa guitare sourde, plus rapide d’un seul coup, et une batterie linéaire qui suit le mouvement, pour finir totalement enragée, comme le refrain. Cubbiebear est asphyxié, il a besoin de respirer et le hurle haut et fort. Sa performance est juste bluffante, pleine de tripes.

  

Et que dire de Damned… sans aucun doute ma pièce favorite de Still Can’t Fly. Un morceau dantesque, une confession qui devient un aveu, une illumination pleine de culpabilité, sincère et lucide.

Là aussi le contraste est saisissant, la guitare débute seule, planante, chaude, ensuite le beat vient s’accolé à cette douce mélodie. Très sombre, syncopé, métallique et glacial. Ça tranche complètement.
Mais c’est beau, c’est parfait, et encore plus avec ce solo de guitare final, qui décolle dans la stratosphère. Perdu entre douceur et regrets, Damned ne touche plus terre…

Clairement, Cubbiebear semble à l’aise, il est habité et on l’écoute avec attention, on se délecte des envolées sonores et rythmiques. Voilà un chef d’oeuvre qu’on ne voit pas arriver, encore avant-gardiste en 2015, mais surtout tellement authentique.

Still Can’t Fly ne porte plus si bien son nom, car il vient de s’envoler…

Colère et nervosité


La violence germe généralement dans le terreau de la colère. On sent bien que cette brutalité inhérente à Still Can’t Fly est principalement née de la rancune, du ressentiment. Cette rage est viscérale, ancrée profondément. C’est ce qui la rend évidente, presque pure. Elle ne peut que nous frapper, impossible de passer à côté.

Surement stressé, Cubbiebear nous fait ressentir sa nervosité dans sa musique dès lors qu’elle devient moins (ou pas) progressive. L’immédiateté musicale rend l’oeuvre brutale. L’artiste impose sa vision, son ressenti, sans introduction, abruptement. Cette sauvagerie, on la retrouve dans les propos amer du Mc, sur sa propre personne ou le monde qui l’entoure. C’est toujours très incisif, très « Battle Rap » et anti mode, mais surtout plein de tensions.

Nervosité et tensions explosent avec des rythmiques riches et complexes dans Hooray ou Punch Pretty Woman For Fun. La première chanson est plus traditionnelle, un rap cru et féroce, assez court. La seconde est beaucoup plus longue, avec une instrumentation, une composition, beaucoup plus chaotique, où Cubbiebear prend plus de risques.

Hooray c’est le débarquement, c’est la présentation brusque du rappeur, de son expression et de son style musical. Percutant, pleins de convulsions rythmiques et de bugs de voix appuyant certaines punchlines. Très malin et très efficace.

Punch Pretty Woman For Fun, c’est des cris puissants, du chant, des explosions rythmiques et mélodiques qui s’enchaînent, alternent, pour mieux nous perdre. Mais toujours sur ce fond de tensions non résolues, de colère irrépressible.
L’auteur sature au moins autant que les guitares, ça se sent. C’est un morceau très différent, aux confluents de plusieurs style. La rage qui s’en dégage n’en est que décuplée, chaque couplet rappé devient une bouffée d’oxygène, une porte de sortie pour claustrophobe enfermé.

Les hurlements du refrain correspondent bien à l’état de transe que transmet l’instrumental, qui, d’ailleurs, est franchement réussie.


CONCLUSION


Peu de chansons, mais beaucoup d’âme. C’est souvent brutal et violent, mais toujours beau et bien pensé. Aujourd’hui, je me dis que Still Can’t Fly a bien vieilli.
Son mélange des genres m’avait vraiment intéressé lorsque je l’ai découvert, vers 2008, et bien je le trouve toujours aussi réussi. La prestation de Cubbiebear, rappeur brutal, aux performances venant directement des tripes, n’y est pas étrangère. Sa voix porte, varie, bug… On ne s’ennuie jamais.

Musicalement, c’est vraiment quelque chose un peu à part. J’aurais bien aimé que le Glitch Hop emprunte cette voie là. Car aucun bug, aucun effet n’est utilisé pour faire jolie. Il trouve sa place, appuie une phrase, un mot, lui donne encore plus d’impact. Franchement malin… et stylé !

Les guitares sont aussi très justes. Toujours musicales et mélodiques, elles apportent un supplément d’âme au reste de la production, souvent mécanique, métallique, froide. Ces contrastes fonctionnent très bien, mais restons clair, Still Can’t Fly, ça reste du Hip Hop.

Bref, c’est un peu court, mais avec quelques pièces à tomber par terre, voilà une excellente surprise. Désormais, j’attend et j’espère plus que de nouvelles sorties de l’ami Cubbiebear.

PS : En attendant vous pouvez toujours écouter Still Can’t Fly EP ici et la discographie de Cubbiebear .

Anthracite

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