Citation d’un ami, en plein apéro-partage de son : « Je suis sûr que les gens qui écoutent des sons doux et pas agressifs vivent plus longtemps que ceux qui versent dans la violence musicale ».
Si la solidité de l’analyse scientifique est certes douteuse, on peut lui concéder que la douceur mélodique est souvent un excellent vecteur d’affects positifs du même genre. Mais c’est aussi un merveilleux écrin pour habiller l’imagination de l’auditeur en quête de voyages intérieurs.
Avec un titre comme Dreams, l’album de Gábor Szabó ne fait qu’une promesse, non vaine, celle d’inviter à se détendre et à se laisser aller à la rêverie et ses pérégrinations. Tranquillement, on se met en route !
INFOS
Gábor, c’est d’abord un guitariste hongrois disparu en 1982 à Budapest, après une longue carrière musicale entamée dès 1958 à Los Angeles. Passionné et formé à l’école du Jazz, Gábor ne reniera jamais cette influence, ni celles du folklore hongrois qui ont sans doute ponctuées son enfance. Mais c’est loin d’être les seules.
À l’écoute de son époque, les débuts du folk des années hippies et les mélodies du rock psyché lui parlent et guident ses créations. Cela lui aura valu les charges des plus fervents critiques jazz, mais aussi de devenir une véritable source d’inspiration pour de futurs grands noms (Carlos Santana, entre autres).
Là où se trouve le métissage des influences et des mélodies, s’érige généralement un pont bienvenu vers l’évasion et l’émotion…
AUTOPSIE AFFECTIVE
Que le sampling est beau. Sans lui, jamais je n’aurais découvert cette petite perle de douceur. En effet, cette trace que laisse le sample derrière lui, c’est une piste que l’auditeur un peu curieux peut suivre, jusqu’à dénicher de véritables trésors oubliés ou au moins inaccessibles à sa culture de base.
Clairement, sans l’écoute d’une mixtape du producteur Mcenroe faisant tourner ses samples (et l’ami Shazam), jamais je ne serai tombé sur cet album de 1968. Non pas que je me désintéresse des vieilleries ou de cette époque, au contraire, mais plutôt que le jazz et les musiques de l’Est me sont totalement inconnus, en dehors de grands noms et d’airs populaires.
Mais si cette découverte m’a choquée au point d’en rédiger une brève chronique, c’est que Gábor Szabó déborde du jazz classique, le transcende avec des influences de l’Est, et lui apporte une touche psychédélique qui le magnifie. On est loin de la musique d’ascenseur…
On ressort de son écoute avec un sentiment diffus, brumeux, un peu comme ces réveils de siestes en été, en se demandant si l’on rêve encore ou si on est de retour dans la réalité, cet état d’entre deux si étrangement appréciable… Quand le rêve est aussi agréable que celui de Gábor, bien sûr !
Un si doux mirage…
L’album se lance avec Galatea’s Guitar, la track qui m’a permis de découvrir l’artiste. Une introduction qui démarre avec une lente et mélancolique mélodie, évoquant l’inquiétude, l’anxiété, sans pour autant être ennuyeuse.
Puis vient le changement de rythme, une véritable ouverture d’aîles de papillons ! Avec cette chrysalide totale, contraste d’ambiance complet. On enfonce tranquillement les portes du saloon, sans stress, à la cool…
Le morceau possède un vrai côté latin, avec des accents désertiques que les éléments rythmiques lui apportent. L’ensemble a une classe folle. C’est même lourd, on se surprend à balancer la tête, irrésistiblement. Un bon beat abstract hip-hop bien avant l’heure !
Cette sérénade sans lendemain, c’est clairement un des pics de l’album. Un morceau douillet, hypnotique, dont l’articulation relève de la révélation, du secret bien gardé, qu’on prend plaisir à ébruiter… Une perle, tout simplement !
Au passage, je laisse là le morceau-sampleur, Rainy Day de Josh Martinez, avant de continuer ce pélerinage au royaume des guitares classiques et classes.
Half the Day is Night prend la suite. Forcément, le morceau précédent a mis la barre plutôt haut, et avec cette deuxième track, on redescend un peu. C’est plus bienveillant, moins enflammé. On est plutôt sur une ballade nocturne calme, un blues à la croisée du jazz et de la musique de l’Est, presque un son de resto… Mais on se laisse facilement bercé par les mélodies cool de la guitare de Gábor, sans forcer !
On poursuit donc avec Song of Injured Love, un morceau beaucoup plus mélancolique. L’abîme des douleurs amoureuses s’étend après une longue intro, dans une chute ininterrompue, que j’aurais bien vu samplée dans un son de Sixtoo.
Tout ceci n’est là que pour faire ressortir le rebond qui l’accompagne. Les mélodies s’illuminent, deviennent très positives, comme pour mieux sourire à la vie. L’amour est mort… Vive l’amour !
Enchaînement sans transition avec l’Orient Express faisant halte près d’un camp de gitan de la frontière austro-hongroise ! Avec un titre comme Fortune Teller, on y est totalement ! Le son a un vrai petit côté Django, avec les guitares qui s’envolent, les violons manouches… Attention à l’arnaque chez la diseuse de bonne aventure !
Le voyage du songe de Gábor se poursuit avec son côté plus malicieux et farceur. C’est en tout cas ce que la première partie de Fire Dance m’a évoqué. Cet aspect enfantin est vite soutenu par des cuivres soulfull, tout en douceur. Le trip est plutôt chaleureux, épique et classe, avec le retour de ce thème de départ. Entêtant, c’est le mot !
Néanmoins, quand la composition se complexifie, l’ensemble prend de l’ampleur, de l’épaisseur, et on vogue à de plus grandes hauteurs, entre les nuages. La fureur de la guitare est bien présente, mais si douce. un vrai bonbon. C’est comme quand un personnage aux attitudes un peu gamines devient sérieux, parle clairement, ce qui lui confère instantanément un charisme et une aura totalement différente. Comme Goku par exemple !
Puis vient The Lady in the Moon et son départ en mode sérénade séductrice, très latine et langoureuse. Une partition jouée avec une rose bloquée dans la guitare, prête pour l’offrande à la belle de la pleine lune… Plutôt sympathique comme départ.
Mais ce n’était qu’une mise en bouche ! Une lente remontée bossa nova casse les codes, pour mieux faire de la place à la guitare de Gábor. Et de la place il en prend ! Son solo est magnifique, ses mélodies, totalement épiques.
Cette guitare est désormais un sabre prêt à pourfendre ceux qui menacent la señorita… Nous voilà en plein duel dans l’Andalousie des Conquistadors, un duel bien sûr éclairé de l’unique lueur d’une énorme lune blonde estivale. La rose est désormais bien serrée entre les dents du duelliste mélodique !
Le tout est pourtant si calme, si doux, si reposant. Mais la fureur et la mélancolie enrobe l’auditeur, qui, lui, est déjà loin. Cette douce tristesse, qui devient si appréciable et douillette, on s’y enroule, encore et encore, comme lorsqu’on refuse de se lever du lit.
Une merveille ! Tous les instrumentistes sont à leur place et jouent dans un accord qui frise la perfection. C’est riche et prenant… Un chef d’oeuvre plein d’inspiration et de pouvoir d’évocation ! Le voyage ultime de cet album.
L’album se conclut avec Ferris Wheel de manière douce et apaisée, dans un sourire nostalgique, symbole du fait qu’on vient de passer 37 minutes agréables et propices aux vagabondages de la pensée, aux inspirations créatives sereines ou au repos enjoué.
CONCLUSION
Si quelqu’un m’avait dit au moment du lancement de sensibilités mélodiques que je m’enflammerai pour un morceau aux accents largement bossa nova, j’aurais éclaté de rire tant pour moi ce style m’évoque la neutralité, la musique d’ascenseur ou servant d’ambiance à l’apéro du séminaire d’entreprise en cure de culture collective…
Rien que pour ça, Dreams méritait une chronique et quelques mots. Et surtout, cela laisse à penser que si l’on se dit ouvert d’esprit et prêt au voyage musical, il ne faut pas craindre de remettre en question ses a priori, corriger ses jugements, questionner ses certitudes et goûts soi-disants affirmés. C’est souvent le propre des véritables récits de routards, une leçon spirituelle découle toujours du voyage…
Anthracite
BONUS
C’est désormais la discographie de Gábor Szabó sur laquelle je vais me lancer avec appétit. Et en guise de petit bonus, voici un petit florilège, en quelque tracks, de l’univers du bonhomme.
Three King Fishers, d’abord, avec son ambiance hypnotique de l’Est, assez psychédélique finalement, un trip spirituelle dans les Carpates ! J’appelle d’ailleurs les plus vifs d’esprit a dire dans les commentaires si ce morceau n’aurait pas été samplé quelque part. Cette question me hante, et je ne trouverai pas le sommeil avant d’avoir une réponse…
Bacchanal suit, une véritable perle latine, pleine de sensualité et de classe mélodique. Une douceur dont l’on se délecte avec gourmandise, sans pouvoir se contrôler. Une musique faisant danser guitares Tziganes, mélodies de l’Est et tango argentin à l’unisson.
On poursuit avec le très doux Some Velvet Morning, toujours bien ancré dans le voyage, puis Gipsy Queen, la mère spirituelle de Santana…
Enfin, on termine en beauté, avec Los Matadoros, où Gábor Szabó semble habité, menant une danse endiablée merveilleuse de 12 minutes, terrassant l’auditeur par ses nombreuses estocades… Magnifique.