Jonwayne // Bowser

J’ai jamais compris comment Mario Bros a pu obtenir un tel statut d’icône. Un petit gros, moustachu, plombier à mi-temps et d’origine italienne, en quoi cela peut-il faire rêver qui que ce soit ?

Le 13 Septembre, c’est l’anniversaire de Super Mario Bros. Pour fêter ses 30 ans, sensibilités mélodiques choisit de confier l’ambiance à Jonwayne. Mais pas de petite ballade guillerette dans la vallée des champignons, avec lui, on passe à quelque chose de plus trash et adulte dans un hommage plutôt adressé à Bowser qu’à l’expert des tuyaux…


INFOS


Jonwayne est un producteur-rappeur de La Habra en Californie, il fréquente très jeune le club du Low End Theory à Los Angeles, ce qui l’amènera à faire de nombreuses rencontres et s’y produire.

Repéré par le patron de Stones Throw Records, il va enchaîner les sorties d’albums et de mixtapes instrumentaux sur différents labels avant de poser sur ses beats et commencer sa carrière de rappeur.

Mais nous, nous intéresserons à Bowser, son premier album, sorti par le label de L.A. Alpha Pup Records en 2011. Entre expérimentations artistiques, influences personnelles et culture du Beat made in Cali, Bowser semble être plus la mise en musique de quelque chose qui lui trotte dans la tête depuis longtemps qu’une instinctive création dictée par un moment d’hystérie.

Préparez-vous à de l’abstract hip hop à forte consonance électronique, totalement baignée dans les jeux vidéo rétros et les sons chiptunes, 8 bits…


AUTOPSIE AFFECTIVE


L’album est entièrement instrumental, donc aucunes paroles pour cerner les thèmes développés, uniquement le ressenti personnel. Forcément, attendez vous à une analyse 100 % subjective et un bal d’images mentales incongrues !

Mais ce disque est aussi construit de façon très cohérente, je ne peux donc que vous conseiller de l’écouter aussi dans son ordre originel (après lecture bien sûr…!).


Il semble que Jonwayne ait voulu opposer deux ambivalences puissantes dans Bowser : énergie et séduction d’une part, nervosité et spleen de l’autre.


Tensions Vitales


Par tensions vitales, j’entends les pulsions de vie énergiques, volontaires. Des « envies de vie » plutôt positives en somme.

Une de ces tensions évoque la sensualité, la séduction. Bowser est emprunt de pas mal de dérision et d’ironie sur la question. Et il la traite avec suffisamment de lucidité pour ne pas se prendre toujours au sérieux.

En témoigne l’introduction de l’album, un peu kitch et cliché, mais plutôt drôle, avec son piano très « suave ».

Trilla G aussi surf ironiquement sur la tension sexuelle, sans doute plus explicitement encore avec ce sample quelque peu sarcastique de Nate Dogg. Sample d’ailleurs issu d’un univers à l’exact opposé de Jonwayne ( Can’t Deny It).

Mais cela ne fait que renforcer le sentiment de rejet et de solitude renvoyé par Trilla G. Ce « You don’t wanna fuck with me… » répété en boucle transpire la frustration sexuelle…

Ce bout de sample, c’est la petite cerise d’un délicieux gâteau englouti honteusement pour enfouir sa névrose pendant quelques minutes. Il ponctue à merveille cet instrumental sensuel aux basses rondes et digitales qui accompagnent une mélodie synthétique mélancolique voluptueuse.
Et à la fin, on a juste envie de se dire « une de perdue… une de perdue. ».

Bowser continue de s’ancrer dans la sensualité, d’évoquer la séduction. Le très charnel Featuring Mndsgn fait aussi dans l’influence Funk avec ses basses bien rondes et ses envolées mélodiques pleines de désir.

Définitivement, voilà une track chaude, hyper sexualisée. Peut être que la tension sexuelle précédente a finit par se régler ?

Ça n’est sans doute pas un hasard si Dreamland a été placé entre ces deux moments plus «hot» de Bowser. Parce que ce morceau aussi est dans la séduction. Mais plus apathique, plus léthargique ou paralysante.

Le son lent, très contemplatif avec ses voix et ses synthés lancinants, relève plus de la révélation sous morphine que du désir immédiat. C’est doux, rassurant, paisible. On se croirait dans la fontaine des fées de la forêt d’Hyrule… mais en fin de soirée, un peu éméché…

L’autre tension « positive » de cet album est sans aucun doute l’euphorie, l’exaltation. L’énergie bondit de certaines compositions, en imposant une véritable classe mélodique digitale.

Bien qu’initiant un certain sentiment d’incompréhension au départ, les voix pitchées d’Andrew laissent assez vite place à l’enthousiasme et au sourire. En les utilisant comme des basses omniprésentes et musicales, Jonwayne finit par être compris et écouté.
Ces voix rendent cette track à la fois enfantine et très mature, totalement avant-gardiste finalement. Une vraie « street contine digitale ».

Suite directe, Darwing ne partage pas grand-chose avec son prédécesseur, musicalement parlant. Plus rapide et entraînant, il mise sur les sonorités digitales des synthés. Au delà de basses bien mélodiques, c’est surtout l’excitation que ces deux morceaux ont en commun.

Darwing y ajoute une énergie vitale encore plus viscérale, quelque chose de très libre, évoquant le grand air, presque des perceptions forestières !
Avec des mélodies électroniques si haut perchées, on pourrait s’imaginer Mega Man déboulant dans une forêt, hallucinant complètement après avoir avalé quelques champignons…

Cette première partie d’album s’avère surprenante mais réjouissante. Bowser va tout de même montrer une face plus sombre de son caractère avec la suite de l’album.


Nervosité mélancolique


Toujours sous tensions, Bowser exprime aussi ses névroses, ses angoisses et son spleen à travers ses rythmiques plus tendues et ses « malaises sonores ».

Le stress et la nervosité s’invite dans pas mal de morceaux. C’est par exemple une véritable épreuve, entre peur et pression, qu’impose Time Trial. Mais une épreuve sur un jeu Nes, et un hommage aux boss de jeux vidéo 8 bits peut être.

La nervosité s’apparente aussi à une forme d’irritabilité, de bougonnerie, comme ces levés de début d’aprem’ suivant une longue nuit bien trop arrosée où on a laissé notre mémoire au bar…

Exemple avec Beady Bablo. Le son se termine peut-être de façon cosmique, mais débute avec Petey Pablo sous codéine, complètement halluciné. L’OST du dernier shooter avant le dégueuli…

C’est autant une bande originale de la migraine que 1 for Willy ou Progstep sentent la gueule de bois.

Les basses sont totalement embrumées, lourdes, dissonantes. Saupoudrez d’un peu de mélodie versant dans la parano et voilà le cocktail musical du ronchon alcolo mal réveillé !

Bien que moins grognon, Bowser I (Sigma Head) continue d’attiser ce caractère bourru, cette fois « faussement » sans délicatesse. Faussement, car rien dans ce piano cristallin ne laisse deviner l’arrivée du dragon avec ses gros sabots.

Oui, le personnage de Bowser s’incarne littéralement dans cette track… pour débarquer à la crémaillère de Mario et cramer l’ambiance !

En tout cas, la mutation discordante du piano en une mélodie plus inquiétante le laisse à penser. Et l’image me saute au visage quand surgit cette basse bourrine, emballant toute la composition dans un flottement mélodique de voix, de chiptunes et de saturations. Fallait pas l’inviter Bowser

L’hypnotique Longest Night flirte lui avec la paranoïa nocturne. Une forme d’anxiété ressort de sa rythmique boisée et rapide, riche d’éléments divers et de contre temps.

Les synthés s’y greffent à merveille, puis s’enflamment pour transmettre cette inquiétude grandissante. Les teintes sonores se multiplient, tout s’accélère jusqu’à ce qu’un unisson magnifique viennent nous gifler. Le chaos continue encore de plus belle, avant un repos bien mérité.

Je pense encore à ce bon vieux Mega Man sur ce morceau. Ce côté nerveux des synthétiseurs sans doute. Mais en tout cas, finit la rigolade pour lui. Je le vois plutôt sous anxiolytiques, à l’HP, totalement perdu au milieu des autres patients. Vision un peu bizarre de ma part, je vous l’accorde.

La mélancolie imprègne aussi plusieurs morceaux, aux accents sonores et mélodiques plaintifs. Une tristesse parfois douce, parfois plus violente.

Avec Mario is Missing, on se doute que l’ensemble musical sera assez influencé par les jeux vidéo. Et c’est clairement le cas. Quelques larmes pixelisées semblent couler de cette instru, transmettant un spleen digital que pourrait ressentir le malheureux Bowser après avoir tué son meilleur ennemi moustachu.

La douleur semble imprégner encore plus Crumbled Luna, une pièce incroyable de justesse dans l’album. La chanson démarre progressivement dans un univers merveilleux, ballotée par les rythmes profonds et les sonorités cosmiques. Puis vient cette basse puissante, lancinante, comme une plainte, un gémissement douloureux. C’est beau.


Ensuite tout se mélange, frénétiquement, pour évoluer en une déprime épique, peut-être même salvatrice. Car le retour encore plus marqué des basses, enrichi en fond de prières digitales, devient une révélation finalement apaisante. Crumbled Luna est définitivement une merveille marquante.

Et que dire de Be Honest ? Jouant sur la même maîtrise de composition, un spleen très doux s’enroule dans ses plis mélodiques. Avant l’explosion sonore. La basse s’amplifie, des sanglots perlent alors sur la manette de Nes imaginaire que Jonwayne laisse à disposition…

Un vrai « bonheur-triste » (ou vice versa), reposant, qui vient conclure idéalement l’odyssée de Bowser.


CONCLUSION


Pour finir de raconter MON histoire de Bowser, j’ai retenu un moment. Un moment mémorable, la synthèse parfaite de l’affect contenu dans cet album (et dans mon propos). Deux morceaux s’enchainant parfaitement, effet d’ascenseur émotionnel garanti.

Tout d’abord, Bowser II, plaintif, lancinant, dissonant, mais tout autant puissant et prenant. La symbiose des sons 8 bits avec les synthés et les basses fait merveille. Une grande mélancolie se dégage de cette composition, c’est assez troublant… Avant que White Specks in a Black Cloud ne prennent la suite, sans transition, brutalement. Mais pourtant quelle cohérence !

L’enchaînement est parfait, il vous faut l’écouter sans aucun délai, par n’importe quel moyen ! Le rythme nous prend à la nuque, impossible de ne pas être saisit par ce contraste. Contraste qui croît avec la progression de la composition.

Les basses résonnent, grasses et rondes, les synthés sifflent comme des moineaux à 6h du mat’ avant de s’envoler hauts dans le ciel pixellisé de Bowser.

Voilà le rebond mental dans toute sa splendeur, car c’est à ce moment qu’éclate le soulagement, l’euphorie et la rage de vivre. Un peu comme quand Link trouve un objet dans un coffre et le soulève. Et bien imaginez notre héros faire la même chose sous l’emprise de quelques acides en retrouvant une pilule dans sa poche…

Voici la playlist qui vous fera apprécier cette si belle transition.
Mais je me devais de laisser White Specks in a Black Cloud en écoute. Immanquable.

Je n’ai plus grand-chose à dire sur ce que je considère encore aujourd’hui comme une œuvre majeure, un peu à part, certes. Bowser réussit à se sortir du carcan « musique de niche pour Geek ou Otaku » que peut être tout ce qui sonne chiptunes, 8 bits etc. On sent l’influence abstract de L.A. et du Low End Theory, en même temps que la personnalité étrange de son auteur.

Je ne sais pas si Jonwayne serait d’accord avec l’ensemble de mes propos et de mes ressentis, mais il serait sûrement d’accord sur le fait que son album invite au voyage intérieur. C’est la grande force de cet album. Inspirer des images et des histoires à l’auditeur, en se passant de paroles. Une narration dont chacun est le maître.

Anthracite

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