2019 // CONVERGENCE DES FLÛTES

Pêle-Mêle

La décennie approche de son crépuscule. Dans un dernier rayon de lumière, elle nous offre des illuminations musicales magistrales.

LORN - "Rarities"
Parce que l'obscurité continue de jouer avec l'espoir
Parce que sincérité rime bien avec qualité
4RD - "Box Driver"
Pour scotcher sur les lumières qui défilent sur la route
MONO/POLY - "Monotomic"
Pour saigner le dance floor de l'esprit...
ALFA MIST - "Structuralism"
Parce que la nuit se drappe aussi de douces mélodies
BRAINWALTZERA - "The Kids Are AI EP"
Parce que Skynet fait soirée
Pour avoir rendu Koji Kondo gangster
TIPPER - "Jettison Mind Hatch"
Pour la méditation transcendantale synthétique
Pour son énergie cosmico-poussiéreuse
SILK ROAD ASSASSINS - "State of Ruin"
Parce que même les fantômes apprécient les basses
SAMEER AHMAD - "Apaches"
Pour les danses de la pluie acide

Un EP m’a particulièrement marqué, autant sur le fond que la forme, mais aussi par l’origine de sa production. Une communauté silencieuse se fait bruyamment entendre en 8 scènettes…

AN ILLUSTRATED MESS – « Last Night, and All Of Our Glorious Mishaps »

Ecouter du rap US quand on est ado, c’est se frotter à une imagerie ultra urbaine, c’est se laisser happer par l’immensité de New-York ou L.A., l’omniprésence du béton, les grattes ciels écrasants bouchant les perspectives, qu’elles soient visuelles ou sociales… Mais « l’Etat-continent » américain révèle la complexité de sa réalité lorsqu’il s’exprime à taille humaine. Découvrir une production Hip hop qui vient des tripes de l’Arizona, sortie tout droit du bide d’une communauté éventrée par l’histoire violente de ce pays, laissée sur le bas côté de l’hyper développement, ça ne peut pas laisser indifférent…

Alors qui se cache derrière cet artwork magnifique et énigmatique ? An Illustrated Mess, deux mecs de Flagstaff, deux héritiers de la culture native américaine, deux indiens ballotés par la pression néo-libérale et les tentatives de mises au pas culturelles. Mais dans cette Amérique plus que jamais infectée par le poison de la division, l’héritage de cette culture séculaire bâillonnée croise le quotidien d’une jeunesse populaire « ordinaire », ceux qui survivent dans le merdier de l’ultra-productivisme et du consumérisme débridé.

Voilà toute la spécificité de cette production. Les réalités particulières et difficiles, pour ne pas dire sordides, vécues par des indiens Navajo qui n’en restent pas moins des jeunes adultes bercés par les mêmes doutes et les mêmes rêves que les autres jeunes de leur ville.

Alcoolisme, perte de repères culturels, effacement de la langue et des traditions, assignations et discriminations, galères de la précarité économique au quotidien, instabilité sentimentale ou perte de contact avec ses amis, les thèmes sont nombreux, variés et traités avec une sincérité qui confère simplement à la puissance et à la justesse.

Tout ça respire l’intelligence et la sincérité. Mais en plus, « l’enrobage musical » est au service de cette profondeur. Les instrus sont hyper léchées et originales, ça sort des sentiers battus et du classicisme pour faire la part belle aux mélodies, aux textures variées et aux envolées rythmiques. Le début de l’album est juste dingue, avec des couleurs sonores très vives et contrastées, mêlant les approches synthétiques et acoustiques dans un cocktail parfaitement dosé. Et puis Fake Four oblige, ça rap avec technique et puissance, mais la déviance est de mise pour faire de la place à des moments « chantés » (pour pas dire beuglés !), mais aussi à des tracks plus folk, rock ou carrément punk (cette boîte à rythme tellement 80’s sur Hauling Water, un délice !)

Enfin, comment ne pas parler du final de cet EP. Dead Indians, cette track incroyable avec un speech d’intro qui t’hérisse le poil à chaque écoute, cette instru de taré, une offrande pour MC à la verve contenue depuis beaucoup trop longtemps prête pour l’irruption. Puis vient ce refrain amer, anachronique, quasi désuet et pourtant plus qu’actuel. Décolonial as fuck !

Ce morceau est juste une ode à la résistance face à l’impérialisme du néo-colonialisme actuel, autant culturel qu’économique ou politique, mais aussi à la résilience personnelle quotidienne, celle qui demande une énergie dingue et qui aboutie généralement juste sur de nouveaux questionnements complexes insolvables.

Avec ses moments narratifs finalisant chaque morceau, la plongée sociale en apnée dans ce quotidien Navajo à la fois particulier et commun est totale. Mais on n’est pas sur une invitation au voyage. C’est plutôt une injonction à l’anti-tourisme et au partage culturel ! La quête de sens est, elle, bien universelle…

Anthracite

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